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vendredi 3 mars 2017

Prise en charge des violences sexuelles en Psychomotricité

      La Psychomotricité est une discipline polymorphe. On peut travailler dans le public, dans le privé, en hôpital, en libéral, en IME, en CAMSP, en SESSAD, en EHPAD, dans pleins d’instituts nommés par des abréviations, et on soigne toutes sortes de choses.

      Aurélie, Psychomotricienne en clinique psychiatrique, et Elise, psychomotricienne en hôpital pédiatrique et en libéral, travaillent toutes deux sur la prise en charge des victimes de violences sexuelles.



(Photo extraite d'un article sur le projet Unbreakable, de Grace Brown, une "photothérapie" où les victimes de violences sexuelles brandissent les mots de leur(s) agresseur(s), des personnes qui ont contribué à les enfermer dans le silence, ou, ici, des messages d'encouragement à destination des autres "survivantes")

Comment les patient-e-s arrivent elles/ils dans ton institution ?

Aurélie : Elles viennent pour anxio-dépression. Certaines me déposent le trauma avant d'en parler au psy ou au psychiatre. Le fait que je laisse justement de la place au corps, que je les aide à faire des liens entre douleurs corporelles, émotions, histoire, fait que je deviens une interlocutrice privilégiée.

Elise : Je les vois dans le cadre d'hospitalisation, parfois juste après le viol, parfois quelques mois après et j'en suis également en cabinet. Je travaille en pédiatrie générale et en libéral.  Les patientes que je vois sont des mineures. Je les vois parfois a la majorité quand elles conservent le suivi psy à l'hôpital.


Quelle est la différence entre le travail que la psychomot peut faire avec ces patient-e-s et celui du psychiatre ou du psychologue ?

Aurélie : Le psy va travailler surtout au niveau de la pensée, des émotions, mais ne va pas toucher au corporel. Le psychiatre va ajuster le traitement en plus.

Elise : Bien souvent elles ont juste un suivi psy. Or pendant le viol, ils/elles l’expriment bien, ils/elles dissocient corps et esprit. Donc la pratique psychomotrice s'inscrit dans la "re connexion corps esprit" en partenariat avec la psy.
Notre but est de leur apporter des sensations / perception / émotions car souvent ils/elles n'arrivent plus a les percevoir et les associer a la bonne émotions. La mémoire corporelle est bloquée au moment du viol. Après, cela dépend aussi du moment ou la jeune fille vient vers moi, si c'est quelques mois seulement après le viol ou quelques années après. 

Parfois ils/elles refusent la psychothérapie, et le corps est un bon moyen pour y parvenir parfois c'est l’inverse. Les psychologues me sollicitent aussi lorsqu'il ont l'impression que la jeune fille n'avance plus et bloque parce que le corps n'a pas été "réparé"

Je les vois aussi dans le cadre de gestion stress/angoisse lors de leur procès par exemple.


Quelle  prise en charge peut-on faire en psychomotricité ? Quelles médiations utilises-tu ?

Aurélie : Il y a une grande part de langage, ne serait ce pour accueillir les émotions, souvent de la honte et de la culpabilité et poser des mots d'apaisement. Après je leur propose de se réapproprier leurs corps...

Chez nous les patient-e-s choisissent les groupes auxquels ils/elles souhaitent participer
Pour celles et ceux que je vois en individuel, c'est du sur mesure : auto-massages, respiration, relaxation, chant, travail autour de l'image du corps (comme en traçant leur silhouette), dessin, etc. J’utilise notamment la Psychophonie (prise de conscience de la voix, de la manière dont elle résonne dans le corps, des émotions qu'elle véhicule, de la détente qu'elle procure…)

C'est l'occasion de travailler autour du toucher : en auto-massages, en les amenant à pouvoir accepter et apprécier un toucher thérapeutique…Au départ ils/elles ne se sentent pas légitimes, qu'on puisse prendre soin d'elles/eux, au fil de temps ils/elles peuvent se réconcilier avec elles/eux mêmes, construire une estime de soi.

Je leur propose aussi, au besoin, de la décharge pour évacuer la colère associée au traumatisme, qui vient plus tard que la culpabilité.

Elise : J'utilise la relaxation,  la respiration mais aussi des exercices plus dynamiques et la notion du miroir. J'ai également créé des cartes sensations/perception/émotions.

Ces cartes servent au début pour raconter un souvenir agréable, et petit a petit je fais appelle à leur mémoire corporelle au moment du viol (quand elles sont prêtes et qu’elles ne présentent pas de fonctionnement psychotique). A ce moment là, on arrive pe
tit à petit à la re-découverte du corps. Le challenge est de les amener à retrouver une bonne image du corps, à l’aimer, à en prendre soin de nouveau et à long terme d’être revalorisée dans leur corps.

La prise en charge de cette problématique est elle une nouveauté en Psychomotricité ?

Elise : Cela commence à s'ouvrir petit à petit, à l'hôpital en tout cas. Mais très peu de praticien-ne-s connaissent son intérêt et peu de psychomotricien-nes- la pratiquent ...
En règle générale la sexualité et la violence restent encore un peu tabous dans l'enseignement. Mais ce sont également deux sujets difficiles à aborder, et qui peuvent faire resurgir chez les étudiant-e-s de mauvaises expériences...
Cela tend à se développer et mon objectif est de développer cela en libéral également


Merci à Aurélie et Elise pour leurs témoignages édifiants :)

Pour en savoir plus sur les conséquence et la prise en charge médicale et jurigique des violences physiques, psychologiques ou sexuelles, voici le site de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie.

Et pour un peu plus de fun, voici le Projet Crocodile, un blog qui met en BD des histoires vraies de harcèlement de rue.



3 commentaires:

  1. très intéressant ! bravo pour cet article

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  2. Merci pour cet article ! Heureuse de lire que les pratiques psychomotrices se développent dans ce domaine où nous sommes si pertinents ! J'aurais aimé lire quelques particularités concernant la clinique du traumatisme, et quelques illustrations cliniques concernant cette dissociation corps-esprit que le traumatisme provoque... pour un prochain article, peut être ? ;-) Je partage ici une expérience de parcours clinique, une patiente a réussi à se détendre seulement après que je délimite très concrêtement dans la salle l'espace où je me situais tandis qu'elle restait dans le sien... après plusieurs mois de séances...

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    1. Bonjour :) Merci pour ton commentaire ! A vrai dire j'adorerais avoir des informations plus approfondies et des illustrations cliniques. Je commence juste ce format d'articles, je vais me perfectionner pour poser des questions plus pertinentes ! Y a t'il des expériences cliniques que tu voudrais partager ? Ton anecdote me semble riche d'enseignement :)

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